Antoine Compagnon, chercheur en littérature et spécialiste de Zola, a posé un jour cet intéressant questionnement : « Dans les librairies britanniques, d’un côté on trouve le rayon Littérature et de l’autre le rayon Fiction, d’un côté les livres pour l’école et de l’autre les livres pour le loisir, comme si la Littérature, c’était la fiction ennuyeuse, et la Fiction, la littérature amusante. Peut-on aller plus loin que ce classement commercial et classique ? »[1].
Oui, on le peut et de fait puisque seule la pensée occidentale opère de façon doxale une telle distinction entre Fiction et Littérature. Pour aller plus loin encore que Compagnon, on pourrait remarquer que la « Fiction ennuyeuse » est celle qui porte le poids des ans et qui n’est plus à la mode. Notre distinction actuelle serait donc privilégiée par le cadre sociologique matérialiste de la société de consommation. Plus simplement exprimé, la « Fiction ennuyeuse » est celle qui n’a pas le support high-tech qu’on lui demande. De même que l’informatique propose des évolutions constantes, que le phonographe a fait place au fichier de format Mp3 et que la cassette VHS n’a pas survécu à l’avènement du DVD ou du Bluray, la Fiction aurait perdu son intérêt livresque au profit du film ou du jeu vidéo. Que dire d’ailleurs du cinéma en 3D cherchant vainement à concurrencer le jeu sur ordinateur ou console ?
Pour palier ce problème générationnel et culturel, on a bien tenté de réécrire des œuvres d’un grand degré de littérarité sous forme de livres pour la jeunesse[2]. Mais livre est un compagnon trop souvent éconduit de nos jours par le caprice des jeunes lecteurs et spectateurs qui veulent participer à l’action de la diégèse directement. D’où l’intérêt toujours accru pour le jeu vidéo.
Être acteur est un vieux rêve humain. Jouer à un jeu, c’est être un acteur. D’où le succès des jeux de rôles comme les Loups-garous de Thierce-lieux. Ces jeux sont héritiers d’un très vieux jeu du même style : la Murders party. Né dans les années 20, ce jeu est inspiré de la vogue des romans policiers du temps. En France, c’est Lady Mendl qui l’introduit vers 1930 où son succès s’explique par la volonté du lectorat d’Agatha Christie d’être agent et non plus simplement patient de l’affaire criminelle contée[3]. L’intérêt n’est donc pas purement lié à l’interface graphique du jeu vidéo mais bel et bien à la volonté essentiel de l’humain d’être acteur. Ce qui explique le succès persistant du théâtre et du cinéma qui peuvent être plus aisément rejoué que ne le seraient la plupart des romans. En particulier du cinéma car des acteurs bien vivants nous y donnent la réplique. Le texte théâtral semble parfois moins attrayant que ce qu’en fait un acteur auquel on va chercher à ressembler.
On peut dès lors manipuler ce cinéma pour y introduire les grands éléments culturels de la littérature. C’est le cas par exemple de Star Wars, où se mêlent amour impossible de Roméo et Juliette, parcours christique et romans de cape et d’épées[4]. Le cinéma se fait alors Frankenstein des poètes.
Il est utile de rappeler que le nom de Frankenstein est celui du savant fou qui donne vie à un être composé d’un ensemble de membres de cadavres différents. Ce que fait le cinéma avec de nombreuses œuvres littéraires moribondes qu’il rappelle à la vie. Et avec elles, leurs créateurs : les poètes. Il s’agit en effet du nom donné aux artistes par Platon dans Le Banquet, jouant sur le sens du verbe grec « poien » qui signifie « créer ». Le cinéma est donc en mesure de redonner vie, de façon détournée, à ces œuvres qui n’intéressent plus que les explorateurs téméraires qui vont à leur recherche au détour d’une bibliothèque, d’une page ou d’un paragraphe.
Bien entendu, on objectera sûrement que ce n’est pas là le cas de tout genre cinématographique. A-t-on vu seulement Vin diesel jouer les Rodrigue ? Cela reviendrait à donner raisons aux sketchs des Inconnus tels les Miséroïdes où Van Damme campe Jean Valgean. Et si l’on s’intéressait aux films d’horreur ? Oui, vous savez, ces films où le sang et les coups de couteau, de tronçonneuse, de hache, pleuvent à en plus finir ! Oui, ces films où des bimbos vêtues de juste-au-corps moulants, n’ayant pas inventé l’eau chaude, cherchent à fuir un tueur froid, calme, méthodique, extrêmement lent, qui dissimule son visage sous une perruque de vieille dame ou sous des masques plus étranges et plus effrayants les uns que les autres ?Et si les films d’horreur réécrivait de grandes œuvres littéraires ?
Tout est parti pour moi d’une réflexion en ce sens de J.M. Civardi, spécialiste de Corneille, qui voyait dans une scène de Scream 2 une allusion directe au conte d’Apulée Eros et Psyché. Dans une scène, on peut voir l’héroïne de Scream se retrouve piégée dans une voiture accidentée avec pour seul échappatoire la fenêtre du côté conducteur où gît assommé le tueur. Au moment de sortir, celle-ci hésite à s’échapper sans autre forme de procès ou à tenter de retirer le masque du criminel au risque de le ramener à lui. Or, dans Eros et Psyché, Psyché, prisonnière du Dieu d’Amour, qui ignore l’identité de son ravisseur car il lui rend visite la nuit dans l’obscurité, hésite entre continuer à se satisfaire de son ignorance et lever l’anonymat de son visiteur en allumant la lumière malgré sa défense de le faire. Il peut effectivement y avoir un lien ténu entre les deux scènes cinématographique et livresque. Et en observant plus minutieusement encore, on peut s’apercevoir que Scream est une réécriture des plus grands classiques de la littérature, ceux-là même qui bien souvent déplaisent aux spectateurs de la saga cinématographique. Le tour de main incroyable de Wes Craven fait d’une simple série de films d’horreur un Frankenstein dont la créature est composée de Cervantès, Flaubert, Corneille, Racine, Molière et bien d’autres…
1. Scream 1 : les meurtres bovarystes
Cela s’explique simplement quand on sait que Wes Craven ne voulait pas réaliser Scream. Fatigué des films d’horreurs qu’il trouvait ennuyeux et inintelligents, le réalisateur américain voulait faire autre chose. Coincé pour des raisons financières, il est néanmoins contraint à réaliser le film qui sera son plus gros succès. Il s’entoure notamment de la jeune Neve Campbell qui, elle-même, n’éprouve aucun plaisir pour les films d’horreur. C’est de là que naît le véritable intérêt du film : Scream n’est pas un film d’horreur. C’est un film sur les films d’horreur et leur influence sur les jeunes spectateurs. Il est intéressant de rapprocher ainsi un peu avant l’heure Scream de L’Illusion comique de Corneille, pièce de théâtre qui parle du théâtre.
Dans le premier volet, deux jeunes gens, nourris de films d’horreur, s’en inspirent pour commettre à leur tour une tuerie sanglante dont eux seuls seront les survivants. L’un d’entre eux, Billy, est le petit ami de Sydney Prescott, l’héroïne de la saga. L’autre, Stuart, entretient une relation avec la meilleure amie de Sydney, Tatum Riley, dont le frère est policier.
Stuart est fou : il regarde sans cesse des films d’épouvante où il note la démarche à suivre pour faire des meurtres en s’amusant. Il reconnait lui-même l’amusement que les meurtres qu’il met en scène lui procure. Plus que Billy, il croit être un tueur de films d’horreur, allant jusqu’à protester de son innocence lorsque nul ne le met en cause. Il est à ce point fou qu’il joue complètement les rôles et du tueur et de la victime survivante. Mais au moment de jouer, il n’éprouve plus le plaisir que lui procurent les films. Car il tue moins que ne le fait Billy et s’improvise même plus volontiers violeur lorsqu’il prend le dessus sur Sydney. De surcroît, lorsqu’à la fin du film, les deux tueurs en arrivent à s’entre-poignarder pour se faire passer pour des survivants, son identité entre tueur et victime devient tellement floue qu’il semble perdre pied. Il meurt électrocuté par une télévision assénée sur le crâne. Il est donc d’abord la victime mortellement blessée par le tueur, son complice, puis le tueur condamné à la chaise électrique. Il assume donc les différents rôles des personnages de ses films.
En cela, Stuart est un alter-ego de Madame Bovary. Emma épouse Charles Bovary en l’imaginant être le Prince charmant des contes de fées et des fictions romantiques qu’elle a lu. Car elle lit sans cesse des romances et se figure qu’elle y apprend des vérités sur la vie et l’amour. Elle décide donc de vivre sa vie en suivant les conseils de ses livres. Plus qu’un autre lecteur, elle croit que les hommes qu’elle rencontre sont tous des princes charmants et qu’ils l’aiment comme le Chevalier des Grieux aime Manon Lescaut, Chactas Atala et Roméo Juliette. Elle se met à jouer le rôle des héroïnes pour devenir ses héroïnes que la triste réalité va heurter sans pitié et noyer dans une mer d’hypocrisie et d’indifférence. Recherchant un amour impossible loin de Charles, son époux légitime, elle finit par s’identifier à Phèdre, amoureuse de son gendre Hyppolite et dédaignant son mari Thésée. Comme l’héroïne tragique, Emma se donne la mort en s’empoisonnant. Après avoir cru être une héroïne de roman elle partage le destin funeste de la plupart d’entre elles. Stuart et Emma ont donc en commun cette folie propre aux spectateurs de notre temps qui ne veulent plus lire : ils se persuadent qu’ils sont quelqu’un d’autre.
Pourtant, Madame Bovary de Flaubert n’est pas la première œuvre à ce sujet. La première, du moins connue en tant que telle, étant Don Quichotte de Cervantès. Mais Don Quichotte n’est pas aussi fou qu’Emma : il est assez lucide et enseigne la vie à Sancho Panza qui le suit dans ses sagesses comme dans ses délires. Et quand la situation lui semble idéale, Don Quichotte se prend à s’imaginer qu’il est un chevalier des grands romans médiévaux et affronte des moulins comme s’il s’agissait de milles hommes. En cela, Stuart est un Panza et Billy un Quichotte. Car Billy est lucide mais à force d’exploiter le filon des films d’horreur pour se venger, il tombe dans la même folie que son acolyte.
En effet, la mère de Billy est partie parce que la mère de Sydney couchait avec son père. Se retrouvant seul avec son père, Billy met en place une vengeance contre Sydney, manipulé qu’il est sans le savoir par un autre tueur. Pourtant, s’il persiste à vouloir se venger de Sydney, volonté qu’il aurait pu perdre en couchant avec celle-ci, c’est qu’il est habité par le plus célèbre des tueurs du cinéma : Norman Bates. C’est d’ailleurs en citant une réplique de l’interprète de ce dernier qu’il se démasque dans le film.
Norman Bates, qui a tué sa mère, se sent coupable et l’empaille. Pour croire à sa résurrection, il assume les deux rôles et devient sa mère. Ainsi, lorsqu’une fille lui plait, la partie de lui qui est sa mère la tue par jalousie. Au fond, Norman déteste sa mère mais sait qu’il lui doit la vie. La relation qui existe entre les deux entités n’est pas sans rappeler celle qui existe entre Néron et sa mère Agrippine. De nombreux récits antiques et de nombreuses pièces de Racine ou même Cyrano de Bergerac met en scène l’empereur Néron qui souhaite la mort de sa mère mais qui lui doit aussi le trône. Il redirige alors son hostilité vers les ennemis d’Agrippine comme s’il était devenu cette dernière. Ainsi en veut-il aux chrétiens, à Britannicus qui n’est pas fils d’Agrippine. Comme Norman ou Néron, Billy pourrait en vouloir à sa mère d’être partie en le laissant derrière elle, mais il préfère s’en prendre à la fille qui lui plaît et qui est de plus la fille de celle qui a brisé le couple de ses parents. L’intention malveillante ne serait-elle pas un peu celle de sa mère qui apparaît dans le second volet pour venger son fils ?
2. Scream 2 : L’Illusion comique
Le second volet se veut avant tout une critique des suites cinématographiques. Il cherche par conséquent à dénoncer les rouages des coulisses du cinéma et du théâtre. C’est pourquoi il s’ouvre sur une salle de cinéma et s’achève sur une scène de théâtre.
Le rapprochement déjà évoqué avec la pièce de Corneille par le caractère métatextuel est renforcé par ces choix d’ouverture et de fermeture. Le film entier s’inscrit dans la dimension théâtrale puisque Sydney et certains de ses amis suivent des cours de théâtres et font des répétitions jusqu’à la fin. Sydney joue le rôle de Cassandre, celle par qui viennent les mauvaises nouvelles. Une ironie de plus de la part d’un Wes Craven qui cherche à n’en plus douter la connivence des gens lettrés.
D’ailleurs, l’allusion à Eros et Psyché y participe. Car si l’on veut bien croire leur ressemblance comme plausible, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’Eros et Psyché est une histoire racontée par une vieille dame à une fille kidnappée pour la rassurer sur sa situation de séquestrée. La jeune fille enlevée à son futur époux a été enlevée par des truands et ne sera échangée que contre une rançon. La vieille explique à travers ce conte de Psyché que Vénus éloigne de son époux que l’Amour est tellement fort qu’il triomphe de tous les obstacles et que son époux, s’il l’aime, en fera tout autant. C’est donc un conte dans le roman qui renvoie à la situation du roman comme Scream 2 est dans une suite, la critique d’une suite. Et que dire de la mère de Billy qui semblait avoir abandonné son fils et qui se lance dans une tuerie sans pareille pour venger sa mort ?
On peut en dire que c’est une Pridamant qui cherche non plus son fils mais la revanche de celui-ci. Dans L’Illusion comique, Pridamant recherche son fils Clindor qu’il a délaissé et qu’il souhaite retrouver. Il va voir à cet effet le magicien Alcandre qui lui présente dans un théâtre de fantômes vains les aventures de Clindor depuis son départ. Il y a des intrigues, on y meurt, jusqu’à Clindor lui-même ! Puis, les morts se relèvent et partagent de l’argent. Alcandre tient un théâtre et Clindor est acteur.
Dans Scream 2, ce n’est plus Clindor qui est complice d’Alcandre mais bien Pridament. Car Billy, alter-ego de Clindor est mort dans le premier opus et pour le venger sa mère, qui fait office de Pridamant, joue une petite comédie sanglante à ses anciens camarades pour le venger. Elle devient alors aux yeux de tous une journaliste insignifiante et sans talent. Mickey, un camarade de classe de Sydney lui sert d’Alcandre et met en scène leur comédie macabre.
La fin du film amène Sydney sur une scène de théâtre où les deux criminels mettent bas les masques et se révèlent. Mais ils ne sont pas seuls à le faire. Dans le premier opus, on accusait du meurtre de la mère de Sydney un certain Cotton Weary. Gale Weathers le défendait dans un livre et entretenait une relation conflictuelle avec Sydney qui accusait Cotton du meurtre. Billy et Stuart considérés comme étant les véritables coupables à la fin du premier opus, Cotton est libéré et suspecté tout au long du second. Il faut avouer qu’il a l’air inquiétant, toujours en train de suivre Sydney et de la précéder en tout lieux. Arrivé sur la scène de théâtre, il se révèle être son ange gardien et protecteur, c'est-à-dire tout l’inverse de son rôle dans le reste du film. La scène se change alors en coulisse où la comédie est dénoncée come à la fin de L’Illusion comique de Corneille.
La véritable pièce de théâtre qui n’est pas jouée est celle d’Electre où Sydney accuse Weary du meurtre de sa mère du fait qu’il était son amant. Elle est de surcroît très protectrice vis-à-vis de son père que Billy cherche à tuer et à faire accuser de ses meurtres. Sydney devient donc un Electre dont le père est un Agamemnon et la mère une Clytemnestre. Mais à rebours du mythe de la Thébaïde de Stace, la Clytemnestre de Scream ne veut pas la mort de son époux. C’est donc la femme trompée qui devient Clytemnestre à travers son fils. Cette dimension mythologique de Scream est relevée à la fin du troisième opus.
3. Scream 3 : Le thème du double
Scream 3 va plus avant dans la critique cinématographique que les précédants. Pour commencer, il est le seul opus à ce jour qui n’ait pas lieu à Woodsboro, ville perdue dans la campagne, décor des deux premiers opus. Mieux que cela, Woodsboro devient un décor de cinéma dans un film adaptant les aventures de Sydney Prescott intitulé Stab qui en est à son troisième opus comme Scream. D’emblée, le cinéma est dénoncé comme virtuel et factice. Scream 3 sert à montrer les rouages du cinéma, l’envers du décor et en joue en dissimulant par exemple le vrai tueur parmi plusieurs déguisement de celui-ci. On rencontre tout au long du film un nombre impressionnant de vedettes et le lieu de l’action est Holywood que Cendrars appelait la « Mecque du cinéma ».
Mais cela permet aussi à Wes Craven de se mettre lui-même dans la peau du tueur. Car le tueur est cette fois un réalisateur raté, dont les films d’horreurs ont subi fours sur fours avant le succès des Stabs. La carrière comme les propos du personnage pourrait ironiquement être placé dans la bouche de Craven. L’importance est alors plus portée sur ce personnage et sur son producteur tandis que Sydney est quasi -absente de la majeure partie du film pour arriver en héroïne accomplie à la fin. Jamais on ne pouvait ressentir plus de désir sadique de faire mourir Sydney que dans ce volet-là. Est-ce que par hasard Wes Craven éprouverait pour sa créature, à qui il doit son succès, la même haine que Conan Doyle pour son détective, dont les aventures jetaient le reste de son œuvre aux oubliettes ?[5]En tout cas, cette ressemblance entre le réalisateur-tueur de Stab 3 et le réalisateur plus sensé de Scream 3 peut faire penser à L’impromptu de Versailles où Molière se met en scène dirigeant sa troupe et créant ses pièces.
Mais si le tueur est un réalisateur de cinéma, c’est avant tout pour lui donner certains pouvoirs : il est capable de se faire passer pour mort, de prendre la voix et donc l’apparence vocale de n’importe qui. De plus, il a le droit de vie ou de mort sur ses personnages et s’y donne à cœur joie sur les interprètes. Le réalisateur assume alors la figure polymorphe et omnipotente de Zeus, le dieu des dieux.
Tous les effets sont dès lors portés vers un seul but : Scream 3 est la réécriture d’une des plus grandes pièces et d’un des plus grands mythes littéraires utilisant le thème du double.
Stab adaptant les aventures de Sydney, il est bien évident qu’il y ait dans Scream 3 des acteurs interprétant Sydney et les autres personnages. Les acteurs et les personnages se rencontrent. Ainsi Sydney rencontre Sydney, le frère policier de sa meilleure amie, Dwight rencontre son double, la journaliste Gale Weathers est en concurrence avec l’interprète qui la joue. On peut dans Scream 3 se rencontrer soi-même à tout coin de rue. Réalité et Fiction internes au film s’y trouve confondues au point que le policier qui mène l’enquête compare sa vie à un film d’horreur.
Mais surtout, le tueur est une sorte de Zeus qui peut prendre la voix de n’importe qui et donc, tant qu’il ne se montre pas, l’apparence de n’importe qui. Comme Zeus se métamorphose en Amphitryon et Mercure en Sosie, le tueur se fait le double de personnages souvent eux-mêmes doubles les uns des autres. Scream 3 est donc une réécriture tortueuse et subversive d’Amphitryon qu’il s’agisse de celui de Molière, Rotrou ou de n’importe lequel des trente-huit Amphitryon recensés par Jean Giraudoux.
Le tueur se révèle à la fin le frère bâtard de Sydney, non reconnu par leur mère. Si d’une part, ce schéma narratif est connu car répété dans tout bon Sherlock Holmes ou roman de Christie, Higgins Clark ou même Fred Vargas, il est aussi une ultime référence à Amphitryon, le tueur ayant des intentions analogues à celle de Billy dans le premier Scream : il veut se venger sur Sydney du départ de sa mère et se prend pour Norman Bates en se déguisant en celle-ci. Le procédé d’Amphitryon est utilisé en poupée russe car le tueur se déguise en trois personnes à la fois. Il se déguise en la mère de Sydney, en tueur et en le tueur qu’était Billy.
4. Scream 4 : Paralittérature et mauvais genre
Le dernier et récent opus est bien moins intéressant que les premiers sur ce point, faisant plus de références au cinéma qu’à la littérature proprement dite. Toutefois, on peut y voir dès le slogan le genre de littérature à laquelle il fait allusion. « Nouvelle décennie, nouvelles règles » dit le slogan. Pour autant, dans le film, les règles ne changent qu’à peine.
Cela fait songer à la littérature actuelle. Comme pour Scream, elle semble devoir évolué et n’évolue jamais. Pour certains, la crise littéraire est le moteur de sa propre évolution. On change donc les règles sans les changer et le roman piétine.
Le succès de Scream 4 s’explique plutôt par le motif du criminel : il ne souhaite plus être acteur, il souhaite être célèbre. C’est aussi ce qui explique le succès de la littérature de jeunesse par rapport à la littérature traditionnelle. Le but de beaucoup de héros de ce genre de littérature, dite paralittérature, est de devenir célèbre. Le petit chaperon rouge passe à la télé car elle a survécu au loup, le loup passe au tribunal diffusé sur grand écran. Dans Chaperon rouge : collection privée de Nadja, le lecteur se promène dans un musée où toute l’histoire du petit chaperon rouge est racontée à travers des statues à son effigie. Le petit chaperon rouge est une vraie star, reconnue comme telle. Et le lectorat de ce genre de livre aime voir des enfants de leur âge devenir célèbres. Voici trois titres exemplaires sur le thème de la célébrité : Regardez-moi ! de Gudule, On passe tous à la télévision de Jolibois-Frasseto et Espoir de Star d’Isabelle Chaillon. Encore peut-on citer Charlie et la chocolaterie où le jeune Mike Teavee, au nom déjà assez représentatif, va se faire téléporter dans un écran de télévision pour être le premier homme transféré par les ondes. Plus parlant, Harry Potter, célèbre malgré lui, immédiatement reconnu de tous dès ses premiers pas dans le monde des sorciers. Bien que cette célébrité soit mal vécue de temps en temps, elle lui procure de nombreux avantages.
Cela ne semblerait pas concerner la littérature pour adulte si celle-ci n’était pas tout autant préoccupée par ce besoin de se reconnaître ou de s’imaginer dans les magazines people. Il existe d’ailleurs une figure centrale de la littérature de jeunesse qui lie celle-ci à celle des adultes, à savoir celle de Marylin Monroe. Car Marylin est le fantasme de beaucoup d’hommes, la femme qui était aimée de tous et par tous, un symbole glorieux de la célébrité télévisuelle. Tout le monde veut devenir Marylin Monroe parmi les lecteurs, même adultes, de livres sur la grande comédienne et chanteuse.
Aussi Scream 4 répond-t-il à ce nouveau thème littéraire de la volonté d’être célèbre. Ce thème qi a même permit l’accession au canon scolaire des plus qu’ennuyeux Mémoires de guerre du Général de Gaulle ou des Mémoires de M. de Talleyrand. Thème qui explique également l’engouement pour l’autobiographie et l’autofiction. Même Long John Silver, jaloux du succès de Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes, semble devoir sortir de sa retraite pour écrire et publier ses mémoires[6].
Scream 4 n’est plus alors un Frankenstein des poètes anciens mais un observateur astucieux et terriblement moqueur des poètes nouveaux. Ce qui revient à dire que très longtemps, Scream fut un complément livresque, presque un vulgarisateur de littérature classique et qu’il est à présent un témoin de la dérive livresque et sociale dont l’aspect toujours métatextuel nous rappelle à des thèmes plus intelligent. Le tueur s’adonne au happy-slapping tandis que Sydney écrit son autobiographie, comme si le film nous encourageait à lire des autobiographies comme Mon cœur mis à nu ou W ou le souvenir d’enfance plutôt qu’à regarder des émissions de téléréalité de l’ordre de Koh-lanta, Secret Story, L’Amour est dans le pré ou autre fadaises.
Et vous, quel est votre classique préféré ?
[1] COMPAGNON (A.), Le Démon de la théorie, littérature et sens commun coll. Points Essais, Editions du Seuil, Paris, Mars 1998, p.31.
[2] Les exemples sont nombreux : Claude Ponti est célèbre pour ses réécritures du diptyque d’Alice de Carroll, Ungerer pour son Géant de Zéralda qui associe Petit chaperon rouge et Petit Poucet .La bande dessinée, tout aussi méprisée dans le domaine littéraire français a réécrit le Chateaubriand des Mémoires d’Outre-tombes, Léo Malet notamment avec Blacksad de Dias Canales et Guarnido, Le Procès de Kafka par Céka ou encore Les Rougon-Macquart de Zola avec les Maîtres de l’orge de Van Hamme et Vallès.
[3] AVELINE (C.), Le code des jeux, Machette, 1961, pp.251-253.
[4] John Williams, compositeur de la musique des différents films, peut s’approcher en cela d’un nouveau Wagner et Star Wars d’une Tétralogie des Niebelungen moderne, puisque comme elle la saga de Lucas s’approprie les mythes, les mêle dans une ambiance où même la musique est actrice et joue le rôle de chaque personnage avec ses leitmotivs.
[5] BAYARD (P.), L’Affaire du chien des Baskerville, coll. Mdouble, Les éditions de Minuit, Paris, 2008, p.131-138.
[6] En effet ses derniers temps, les auteurs de romans et de bandes dessinées reprennent avec acharnement le récit de la vie du célèbre héros de Stevenson : Xavier Dorison, Mathieu Lauffray, Long John Silver, Paris ; New York : Dargaud, 2007 ou encore Björn Larsson, Long John Silver : la relation véridique et mouvementée de ma vie et de mes aventures d'homme libre, de gentilhomme de fortune et d'ennemi de l'humanité, traduit par Philippe Bouquet, Paris : B. Grasset, 1998 et Simon Bent, Under the Black Flag: the early life, adventures and pyracies of the famous Long John Silver before he lost his leg, London : Oberon, 2006.
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