Il était une fois, dans un lieu inconnu de tous, aux rues anonymes, au fin fond de l’univers, un chevalier sans nom. Il devait bien en avoir un mais, étant orphelin, il n’en avait jamais eu connaissance, ce qui se révèle particulièrement gênant lorsque l’on vous demande votre nom. Ne sachant où chercher cette réponse, il prit l’habitude de se faire appeler X. D’aucuns le croyaient alors auteur de nombreux méfaits, d’autres le disaient le père de toute une flopée d’enfants. Certains le croyaient mort, le portaient disparu. D’autres encore l’évitaient car il n’est pas bon de fréquenter un homme qui ne sait pas d’où il vient. Tel est le lourd fardeau des anonymes, telle est l’importance majeure de connaître son histoire et de la rechercher.
Il était néanmoins chevalier, ce qui lui permit de se faire connaître sur les champs de bataille. La Rumeur, mère des vices mais bonne messagère, lui bâtit en peu de temps une réputation tissée de bravoure, de noblesse, ornée d’éclat et de succès, tant et si bien que le bruit arriva jusqu’à Camelot . En effet, un matin pâle et frais, tandis qu’il s’apprêtait à se mettre sur son céans, le Roi Arthur reçu la visite d’une puce qui se glissa dans son oreille et lui murmura :
« Par delà les chemins battus du royaume de Logres, dans une ville qu’aucune carte ne montre, se trouve un chevalier qui rapportera ce qui à ton royaume fait défaut ».
Le bon Roi savait qu’une mauvaise ambiance régnait en son royaume, car Hypocrisie, une amie de Morgane, tout droit venue d’Avallon, venait de s’installer. Les habitants de Camelot eux-mêmes passaient jours et nuits à se mentir, à se moquer les uns des autres en cachette. Yvain ne trouvait jamais le temps d’aller chez Sir Gauvain, Lancelot avait bien mieux à faire. Au roi, on disait que tout allait bien. On omettait probablement de lui rapporter les nombreuses veillées de Guenièvre dans les tavernes de la ville, en compagnie de galants cavaliers, où elle dénigrait ouvertement tout ce que faisait son mari, à la ville comme au lit.
C’est pourquoi cette annonce, au lieu de lui mettre la puce à l’oreille lui sembla être un rêve. La visite, le lendemain matin, de l’archange Gabriel lui sembla tout aussi irréelle. Il fallut qu’au soir, durant le dîner, qu’il prenait désormais seul, son auriculaire lui ôte la fourchette de la bouche, le sommant de lui prêter attention.
« Diable ! Quelle est cette vile sorcellerie ?, s’écria le bon Roi, depuis combien de temps un petit doigt a-t-il son mot à dire ici ?! ». Il avait oublié que notre petit doigt est là pour nous dire ce qu’on nous veut cacher.
Le petit doigt lui rappela l’existence de ce chevalier, et à l’aide du pouce, le pinça pour lui prouver la véracité de ses dires. Arthur, fou de joie, chargea Gauvain, son dernier loyal serviteur, de trouver sur le champ le Seigneur De X. Gauvain revint trois mois plus tard, accompagné du chevalier sans nom.
Non loin de là, se trouvait un royaume sous le joug d’une terrible malédiction que lança un jour Morgane. On avait invité, au baptême de la jeune princesse, grand nombre de célèbres fées, parmi lesquelles Mélusine, Clochette et Camomille. Mais nul n’avait songé à Morgane. Prise d’une folle rage, celle-ci condamna la jeune fille et son royaume à sombrer dans une totale léthargie lorsque cette dernière atteindrait ses vingt printemps. Depuis le royaume était plongé dans une nuit éternelle, le château protégé par de sombres maléfices. Sous le ciel, seul le Graal eut un jour été si fortement gardé.
Le chevalier de X passa bien des heures dans les bibliothèques de Camelot à la recherche du Graal et tomba un beau jour sur la légende d’une grande beauté endormie dans un château au beau milieu de la forêt. Son royaume s’appelait Tendre. Après avoir fait part de sa découverte au Roi Arthur, il attendit sa permission de se mettre en quête. Le détenteur d’Excalibur se souvint de la prophétie qui lui fut faite un jour par une puce, un archange, et son auriculaire, et accepta vivement cette demande, s’attendant à voir arriver à sa cour le saint Graal.
X sortit donc de la ville et partit à la rescousse de la jeune princesse sur son fier et blanc destrier vers le pays du Tendre. Il accomplissait sans même le savoir son destin.
Le pays de Tendre était un vaste espace boisé, où les forêts abritaient ça et là lacs, archipels, marais verdâtres et de grandes plaines auxquelles des troupeaux de violettes et une myriade de myosotis prêtaient une teinte indigo. Le château de la belle était perdu au fin fond de la forêt la plus éloignée du royaume, et pour y arriver Dieu seul sait les risques qu’il restait à courir au chevalier sans nom. Mais son sens du devoir, semble-t-il, sa soif de vérité et de sagesse, ainsi qu’un sentiment flou, diffus mais déjà assez distinct l’aveuglait et lui donnait le courage nécessaire pour aller de l’avent. Tagada, tagada, tagada, au galop allait sa monture que nulle autre sur terre n’aurait égalée. Parfois la foi des uns emballe celle des autres; ainsi va le monde, en bien comme en mal.
Le premier obstacle se posa bientôt : une montagne immense flanqué d’un manoir colossale obstruait le passage du chevalier. Il s’agissait du lieu dit Orgueil. Quiconque désirait passer devait au préalable escalader cette montagne puis descendre son autre versant. Malgré la hauteur, le chevalier à qui rien ne fait peur décide de grimper, laissant là son compagnon de route. Au fur et à mesure qu’il avance, son assurance augmente, et une fois au sommet, sûr de lui, il entre dans le manoir. Une énorme fontaine d’or et d’argent trônait au centre de l’unique et antique grande salle de la bâtisse. Déconcerté, X s’approcha et se mira dans l’eau cristalline de la fontaine. Son reflet lui apparait sous l’apparat princier de la beauté et la fortune. Que lui importe cette beauté endormie, puisqu’il s’aime lui-même ? Il s’approcha toujours plus prêt et plus dangereusement de l’onde jusqu’à ce qu’une noire tentacule s’empara de son chef et l’attira vers les profondeurs insoupçonnées de la fontaine.
« Enfer et damnation ! Qu’est-ce donc que tout ceci ?! », s’écria le pauvre chevalier, cherchant en vain à se libérer des pattes gluantes qui l’aspiraient. Son visage lui apparaît alors, maladif, tiré, les yeux rougeoyant dans leurs orbites. Un rictus hideux déforme à présent son doux sourire et sa grande laideur d’âme lui est ainsi dévoilée. Comprenant son erreur, le chevalier arma son bras et prit sur lui de trancher les tentacules qui le retenaient prisonnier. Mais dès qu’il en coupe une, trois autres poussent à sa place ! Quel terrifiant calvaire ! Comment va-t-il se libérer de cette étouffante étreinte ? Il se trouve laid et maudit son orgueil surdimensionné. Alors, les tentacules disparurent en un nuage de poussière et le manoir s’écroula sur ses fondations, tandis que la montagne s’affaissait. X perdit connaissance oscillant entre vie et mort, dans un sommeil sans rêve.
Lorsqu’il revint à lui, il faisait encore nuit et le chemin devant lui était encore fort long. Il se leva et massa le bas de son dos qu’il lui faisait affreusement mal. Mais pire que cela, son amour-propre est en lambeaux. Comme la montagne s’est écroulée, son cheval blanc le rejoignit et ensemble, ils poursuivirent leur route.
Un panneau de bois se dresse à un croisement, qui propose trois directions notables : les villes de Méchanceté au nord, Médisance au midi et Perfidie au Sud. Aucune de ses ville ne semblaient attirantes mais le chevalier comme sa monture tiennent à peine de bout et cherchent un lieu pour passer la nuit. Par crainte de se perdre, X décida de s’arrêter dans la ville centrale, celle de Médisance. Il trouva vite une auberge mal famée mais peu chère où il choisit de faire halte. Tous dans ce village le connaissent, car il est le chevalier sans nom dont parle tout Camelot. Le dernier chevalier sans nom qu’ils avaient croisé était un lâche qui s’était caché comme un voleur dans une charrette de foin. Nul ne doute en ce lieu que X fera pire que le chevalier à la charrette. X écoutait les discussions, tapi dans son coin sombre de la taverne, sirotant un affreux breuvage alcoolisé du lieu. Soudain, ses oreilles sont attirées par une conversation au sujet de la jeune princesse. On la dit laide, repoussante, grosse, mal élevée. Un autre buveur s’enquit à dire qu’elle a des bras et des jambes de bûcheron ou de lutteur. On critique ses cheveux sales, gras et crépons. Le portrait qu’on dresse d’elle donne au chevalier une telle nausée qu’il est contraint de sortir de l’auberge pou régurgiter son dîner. Se peut-il qu’une princesse soit si laide ? Certes le corps n’est qu’une façade comme un coffre de bois moulu et poussiéreux peut renfermer un amas de pièces d’or et de pierres précieuses, mais en général ce genre de cas concerne surtout les princes, qui grenouilles ou bêtes, après le premier baiser révèlent leur beauté. C’est alors que X se mit à observer les détracteurs de sa belle. Ceux-ci ressemblaient à une horde de vautours séniles, moqueurs comme des merles caquetant à la façon des poules. Leurs traits semblaient avoir été dessinés par un Picasso ivre un soir de mélancolie, tellement ils étaient disproportionnés et contre-natures. Nul n’aurait acheté la toile les représentant fusse-t-elle peinte par De Vinci, Raphaël ou Rembrandt. Il comprit alors que bien souvent la critique des gens envers d’autres n’est qu’un miroir qu’ils se tendent à eux-mêmes. Il se jura alors de ne plus jamais quoi que ce soit sans s’en être fait le premier une idée personnelle. Le lendemain, au chant du coq, dans la bise rosée du soleil à la lune en guise de bonjour, X repartit sur son destrier pour poursuivre son interminable périple.
Il lui fallut bientôt rallonger le chemin devant lui afin de contourner le gouffre de l’Impatience, et arriver l’équivalent de trois jours plus tard, à bout de souffle à la ville d’Affinité où une foule galvanisée l’accueillit à bras ouverts sous une ovation à faire passer les pires des séismes de Poséidon pour un murmure de ruisseau. Tous l’aime et le félicite. Au dire de chacun, il est la perfection née, l’homme de la situation. Confus au plus au point, X s’agenouilla devant la foule, car il est bien élevé, et les remercia pour leur bon accueil. Cela réchauffa le cœur du chevalier qui finissait par geler d’inquiétude et d’ennui. Il se reposa dans une auberge fleurie de toute couleur et rêva qu’il ne faisait qu’un avec tout ce qui vit. Il partit tôt au lendemain.
Quelques heures le drainèrent aux villages de Petits soins puis de soumission. Ce dernier village était soumis à une loi tyrannique que tous semblait trouver bonne. Les juges, de jeunes femmes aux yeux limpides comme les mers calmes du Pacifique, le firent comparaître devant elles, ordonnant qu’il se soumette à cette loi s’il souhaitait poursuivre sa route. Comme d’ordinaire les juges sont de vieux squelettes ornés de tissus pompeux et coiffés de perruques grotesques, obéir à ces jeunes vierges ne lui aurait pas été désagréable. Mais son cœur était déjà soumis à une autre loi, c’est pourquoi il refusa tout net. Il fut alors condamné à mort et jeté au cachot de la ville. Peu de temps plus tard arriva une jeune femme au pas peu assuré qui lui demanda pourquoi il avait refusé de se soumettre à la loi. X lui expliqua qu’il avait déjà fait serment à la loi de la princesse endormie et qu’en aucun cas il faillirait à sa promesse. La femme le félicita pour sa constance et sortit une clef d’or de sa poche avec laquelle elle ouvrit la porte de sa cellule.
« Notre maîtresse Tentation va vous faire rechercher par ses walkyries où que vous alliez, le prévint- elle, soyez très prudent ! »
« Connaissez-vous un chemin sûr pour rejoindre celle que j’aime de toute mon âme ? », demanda le chevalier inquiet
« Je ne vous le saurais dire Seigneur, répondit-elle, allez voir les Nornes. Seules elles connaissent le chemin. »
« Où les puis-je les trouver ?, s’enquit X »
« Elles demeurent dans une vieille cabane de bois au fin fond du marais du Passé, dans l’incertain Temple de l’avenir. »
X la remercia, bondit sur son cheval et se lança au galop en direction du marais du Passé. Il s’agissait d’un lieu où au milieu de plan d’eau verte, nauséabonde, pourrissaient les ruines tristes de jadis laissées aux ronces brunâtres. Il est très risqué de traverser ces sables mouvants car on risque d’y rester bloqué dans hier éternellement, comme le fut Merlin par Morgane. Sans peur avance le chevalier, car ce sentiment étrange qui le suit en tous lieux depuis son entrée dans le pays de tendre est si fort qu’il le préserve de tous dangers. Il pourrait grâce à lui marcher sur l’eau, traverser des gouffres ou se mesurer à une armée de milles géants. Très vite il posa le pied sur le seuil de bois de la cabane de bois. Il frappa à la porte, nulle réponse. Le vent commença à souffler, le froid se fait sentir et une assemblée indiscrète de saules et d’aulnes l’observaient d’un air morne. X frappa à nouveau, se présenta et demanda à entrer. Mais rien y fit, nul ne répondit à son appel.
« Il doit y avoir personne, pensa-t-il, qui vivrait dans un lieu si misérable ? ». Il s’apprêtait à passer son chemin mais entendit soudain glousser de l’autre côté de la porte de chêne. Intrigué, il força un peu la porte. C’est alors qu’une vielle femme aux allures de momie ouvrit l’huis et s’écria :
« Tonnerre ! Sont-ce là des manières d’interrompre les gens pendant le thé ? »
C’était une femme aussi centenaire qu’un vieux baobab et aussi hirsute qu’un crapaud. Elle avait quitté une table habitée de deux autres sorcières du même acabit. Se raclant la gorge, X balbutia les excuses qu’exige la plus élémentaire politesse, un « Désolé de vous déranger à une heure si tardive » sonnant aussi obséquieux que parfaitement absurde et demanda courtoisement à parler aux dames appelées Nornes. Les trois vieilles morues, l’air pincé, le détaillèrent de haut en bas avant de répondre qu’elles étaient bien trop occupées à prendre le thé pour parler Destin, sens de la vie, ou autres sornettes de ce genre. Si cruellement éconduit, X ne se laissa aucunement démonter et opta pour une ruse des plus insidieuses. Car ce même sentiment étrange et impalpable qui le suivait et lui prêtait courage, le rendait aussi très intelligent.
« Mesdames…que dis-je ? Gentes et délicieuses demoiselles !, commença-t-il, Que vous êtes radieuses ! Que me semblez-vous belles ! Sans la vérité honnir, si votre langage ressemble à votre corsage, vous êtes les sirènes d’or de ce pauvre marais ! »
La flatterie bien des fois fait plus ravages que loi, et quelques bons mots bien placés changent une vile sorcière en adorable fée. Car les trois vielles oyant telles paroles, deviennent rouges de confusion, se donnent entières au beau-parleur.
« Je vois que j’embarrasse votre douce et belle assemblée et vous demande bien pardon, continua-t-il. Toutefois, s’il m’eut été possible, si le Ciel favorable à mes souhaits jugea bon de me laisser partager le thé avec des nymphes telles que vous l’êtes, ma vie toute entière n’en serait que plus illuminée ! »
Les trois vielles n’avaient pas compris grand-chose à son admirable tirade mais la beauté des sons leur mit au cœur une impression de félicité telle qu’elles s’empressèrent d’accéder à sa requête. X les remercia vivement et s’assit aux côtés de l’une d’elles, rendant les autres noires de jalousie.
« On prétend de par le vaste monde, que vous êtes magiciennes ? », lança-t-il pour ouvrir la discussion.
« C’est bien vrai !, répondit sa voisine, celui qui vous a dit cela n’a point menti, ni même exagéré ! »
« En quoi consiste donc ces pouvoirs ? », s’enquit le chevalier.
« Nous connaissons l’avenir, que chaque jour nous lisons dans l’eau de notre fontaine à l’aide d’un miroir magique ! », l’informa la Norne d’en face
« C’est passionnant ! Auriez-vous la bonté de me faire une démonstration ? », supplia faussement le chevalier.
« Oh ! Hé, hé, hé !, cracha, toussota, ou bien gloussa (nul ne le saurait dire) la troisième Norne, rien de plus aisé !
Les trois aïeules sortirent de la cabane en se bousculant pour arriver la première au puis du Destin et regardèrent miroir en main le destin du jeune homme. Celui-ci les rejoignit bientôt et elle de l’informer en cœur :
« Tu as devant toi une bien longue route, au bout de laquelle ton nom tu connaîtras. Tu es celui qu’attend depuis voilà bien longtemps le preux Roi Arthur et ta femme sera la beauté endormie aux bois. Mais prends garde, toi que rien ne désarme, de grands périls t’attendent ! Car il te faudra voyager jusqu’au Lac d’Indifférence, voguer sur une barque jusqu’à l’île d’Oubli aux portes des Enfers. Là, tu iras voir les mânes de tes amis défunts qui t’offriront l’arme qu’il te faut pour accomplir ta quête ! Il te faudra ressortir pour aller au château de ta princesse, lequel est gardé par une forêt fantôme, un immense dragon et un cercle de flamme. Alors, tous ces dangers traversés, tu trouveras ta belle, endormie, n’attendant plus que toi ! »
L’oracle lui va droit au cœur, comme une flèche brûlante. On dirait que l’Océan entier se forme devant lui afin de le noyer. X respire avec peine et tombe à terre sans connaissance. C’est merveille s’il est encore en vie.
Lorsqu’il ouvrit des yeux plaintifs et douloureux, le marais entier avait disparu. Le sol visqueux et boueux s’était changé en sable fin, doux et lumineux. Un lac colossal, semblable à ceux que l’on trouve en Bavière, somnolait devant lui : le Lac d’Indifférence. Comment le traverser ? Est-ce même possible ? Lecteur, qu’en penses-tu ? Que ferais-tu perdu sur cette vaste plage devant un lac inaccessible et tellement proche ? X cherche une solution et n’en trouve aucune. Il a beau chercher, rien ne lui apparait qui le pourrait aider. Il est dépité. Être arrivé si près du but pour rester assis là à regarder de nonchalantes vagues se moquer de son impuissance à aller plus loin. « Pourquoi persévérer ?, se dit-il, pourquoi se donner tant de mal pour une fille qui, probablement, lui imposera ses choix, séduira d’autres hommes pour l’énerver, fera semblant de le comprendre pour mieux le contrôler, fera de sa vie un enfer là où il attendait un paradis ? Ne s’est-il point fourvoyé dans cette quête sans fin ? N’aurait-il pas mieux fait de rester auprès d’Arthur, Galaad, Kay ou Sire Gauvain à boire ou même chanter et danser plutôt qu’à lire ces satanés codex qui l’ont mené ici même, sur cette plage ridicule ? De rage, il frappa du pied dans le sable, pourfendant un virtuel ennemi, si ce n’est sa propre impatience. Il décide de se reposer sur cette plage, de goûter aux fruits des arbres, de regarder le lac et laisser passer le Temps et les heures qui jamais ne suspendent ni leurs vols, ni leurs cours. Après quoi, il rebrousserait chemin pour ne plus revenir. Il s’assit sur la grève et commença à dessiner. Un soleil, une lune, un chapeau, une rose, des cheveux, une tête, une bouche, un sourire mutin, des joues, un nez, des yeux….ses yeux à elle, celle qui l’attend à l’autre bout et qui son aide requiert ! Comment a-t-il pu si follement désespérer ? Lui le brave X ! Le chevalier sans nom ! Il lui en faudrait un qui fasse trembler de peur les ennemis de Camelot. Et un chevalier pleutre, qui n’irait pas sauver une princesse en danger mérite-t-il un nom ? Les yeux de sa bien-aimée lui redonnèrent courage et vigueur, puis le relevèrent du sol et le firent marcher. Soudain, il aperçut une vieille barque de bois, courbe, qu’il n’avait pas vue. Ce sentiment qui jamais ne le lâche le rend plus clairvoyant. Il se dirigea vers la barque, monta à l’intérieur et rama jusqu’à l’île. Mais une lourde tempête se leva lorsqu’il fut à mi-chemin, formant un maelstrom sans fond.
Comme sa barque n’avait aucune voile, les vents la malmenèrent avec une simplicité insolente et la poussèrent toujours plus près du gouffre d’eau. Mais alors surgit de nulle part son fidèle destrier paré d’ailes gigantesques, qui l’attrapa au vol. Ensemble, ils galopèrent sur de gris nuages, traversant violemment plusieurs rideaux de pluie. Mais alors qu’ils approchaient de l’île, un éclair malveillant déchira le ciel pour venir s’abattre sur le pégase. Ce dernier s’écroula dans le lac déchaîné, mortellement blessé, éjectant de selle le chevalier surpris. X atterrit de façon sanglante sur la plage de l’île de l’Oubli, pleurant son fidèle ami déchu. Il se releva non sans mal. Il lui semblait que son corps n’était qu’un bloc de chair percé de milles broches tranchante de fer. Mais il doit trouver les Enfers, poursuivre sa quête. Mais l’entrée des Enfers semblait introuvable…d’autant que peu à peu il oublia son cheval, Arthur, Camelot, la princesse endormie, son parcours, les Nornes, les villes et villages traversés jusqu’au sien. Il ne se rappela plus qui il était : il ne savait plus qu’il n’a pas le moindre nom et cherche à s’en souvenir en vain. L’oubli peut être la fin de tout ennui, la mort des mauvais souvenirs. Mais l’oubli est une mort en soi. X ne pleura ni ne rit pas, il ne savait plus le faire. Bientôt il resta là assis, ne sachant plus marcher. La Mort s’arma de sa fauche, se préparant à le chercher car, si étrange que cela puisse paraître, sur l’île de l’Oubli on oublie même de respirer. On ne sait plus le faire.
Mais alors qu’il s’apprêtait à oublier de vivre, un vieil homme s’appuyant sur une canne tordue de bois se pencha sur lui et lui murmura à l’oreille : « Debout ! Lève-toi et marche ! ». Et X retrouva toute sa mémoire et se remit sur pied. Il dévisagea involontairement son sauveur, curieux d’apprendre son identité.
« Qui êtes-vous ? », demanda-t-il poliment
« Peu importe mon nom, répondit le vieillard avec sérénité, ta quête n’est pas achevée. Tu trouveras non loin de ces collines, qui bordent la plage, un vieux soupirail poussiéreux, rongé de souffre. C’est là l’entrée des Enfers. »
Confus, X le remercia et couru vers le soupirail qu’il franchit bientôt. Une pluie de bulles colorée d’or et de bronze l’accueillit et le draina jusqu’à un fleuve noir comme l’ébène où l’attendait une autre barque et un passeur vêtu de haillons.
L’homme n’était guère rassurant. Pire, il ressemblait à un de ces croque-mitaines édenté, comme momifié vivant. Vêtu tel qu’il l’était, on eut dit un vagabond perdu sur son chemin. Cela rappela à X qu’il était lui-même déboussolé comme dans un labyrinthe. Il monta dans la barque pour s’asseoir à côté de l’inquiétant guide des Enfers. La barque vogua quelques bonnes heures sur des eaux opaques et profondes, puis bifurqua soudainement sur un petit fleuve tranquille à l’eau verte et troublée.
« Passeur, osa-t-il murmurer, quel est ce fleuve ? »
« Le Léthé, répondit celui-ci d’une voix forte et rassurante, le fleuve du souvenir ! ». En contraste avec son apparence, sa voix étant douce, chaleureuse et réconfortante, presque paternel. Bien souvent la voix d’un être est reflet de son âme.
« Nous y voici, soupira le passeur en jetant l’ancre sur une île brumeuse »
« Où sommes-nous, s’exclama X, je n’y vois rien ! ». En effet, le brouillard était tel que même l’obscurité eu été plus propice à trouver son chemin.
« Tu le sauras bien vite, se contenta de répondre le passeur d’une voix confiante, va ! Et lorsque tu t’en iras, ne regarde surtout pas derrière toi ! ». Sur cette énigmatique recommandation, le passeur prit les voiles puis disparut au loin. X avança, épée au poing, prêt à pourfendre l’ennemi. La brume se dissipa pour laisser place à la maison de son enfance où semblait l’attendre et son père et sa mère. Il entra pour les serrer contre lui mais ce n’était que des ombres. Terrassé par le chagrin, le chevalier balbutia quelques mots tendres totalement inaudibles.
« Mon grand et beau garçon, sourit sa mère, enfin tu nous viens rendre visite ? ».
« C’est un peu tôt, s’inquiéta le père, trop tôt ».
« Dîtes-moi, supplia le chevalier, dîtes- moi quel est mon nom ! ».
« C’est à toi de le découvrir, mon fils », répondirent les aïeuls à tour de rôle.
« Comment le puis-je ? », pleura le chevalier.
« Ne pleure pas, s’écria le père, ce n’est point digne d’un chevalier ».
« Crois-moi mon garçon, soupira la mère, nous sommes tous passé par là ! Achève ta quête, c’est tout ce qu’il te faut savoir »
« Et qu’arrivera-t-il donc ?, demanda X à bout de forces »
« Tu ramèneras ce qu’il nous manque à tous, et connaissant ton nom, tu détruiras le maléfice qu’Hypocrisie nous a jeté à tous, répondit le père, va mon fils ! Le monde a besoin de toi. »
X aperçut alors une petite colline grimpant vers la surface. Il fit ses adieux aux parents et escalada le monceau de pierre, sans regarder derrière lui. Il n’avait pas oublié le conseil du passeur. Lorsqu’il arriva à la surface, une noire forêt de ronces géantes et d’aulnes spectraux se dressait devant lui, cherchant vainement à dissimuler le château de la belle endormie.
Du tranchant de son épée, il se fraya un chemin parmi les mauvaises herbes disproportionnées, allant jusqu’à trancher deux fois quelques lianes qui cherchaient à le retenir. C’est alors que certaines d’entre elles se saisirent de lui et le ligotèrent à un arbre obèse mais robuste. Un roi spectre sortit du feuillage de l’aulne d’en face et le regarda droit dans les yeux. Il suait la malveillance et la malhonnêteté. Sa voix doucereuse lui lécha les tympans :
« Viens jouer avec moi, jeune chevalier, et plus jamais jamais tu ne vas t’ennuyer ! ».
« Je ne suis plus un enfant », fit observer le chevalier, s’arrachant de l’emprise des mauvaises herbes.
« Oui, reconnu le spectre, toutefois c’est tout comme ! Tu n’as jamais connu de femme ! »
« Mais j’ai connu la guerre, surenchérit alors X d’une voix où grondait une rage irrépressible, les morts, le sang, les femmes qui pleurent et enterrent leurs enfants avant elles ! Il faut que cela cesse ! »
« Ah, je vois !, déclara son triste interlocuteur, tu es venu pour cela ! »
« Et trouver celle que j’aime ! », le défia X.
« Oui, accepta le Roi des aulnes amusé, cela va de paire ! ». Le roi fit une pause, semblant réfléchir puis leva des yeux effrayés autant qu’exorbités, hurlant : « Mais alors, c’est toi, le chevalier sans nom, venu pour la Princesse Tendresse ?! »
Sans laisser à X le temps de répondre, il poussa une sorte de cri strident et sourd, mélange hétéroclite de flûte malmenée et de corbeau chassé au balais, avant de s’enfuir se dissiper sans délais à travers le brouillard de la cime des arbres.
« Curieux personnage, résuma le chevalier désormais décidé à rester aussi impassible que sa bile le lui permettrait, poursuivons ! ».
Froissant quelques mauvaises racines, étranglant de ci de là des lianes malveillantes, il parvint enfin au château de la Princesse. « Tendresse, soupira-t-il ému, elle se nomme Tendresse ! ». Mais le château était encerclé d’un rideau de braises si ardentes qu’elles paraissaient bleuâtres comme une mer phosphorescente et infinie. Le chevalier demanda à son vaillant cœur de lui prêter force et courage devant cette épreuve de foi, lorsqu’approchant de l’immense bâtisse et de sa barrière embrasée, il se trouva nez à nez avec un dragon dont la taille approchait le triple de celle du château. Sans crier gare, le reptile décocha une flaque de lave sur le pauvre jeune homme qui ne l’évita que de justesse, touché à la jambe gauche.
« Seigneur dragon, cria-t-il se redressant avec peine, je ne te crains point ! ». Arme au poing, il s’élança vers le cruel animal et lui sauta à la gorge. Ainsi, il faut toujours prendre garde et ne jamais sous-estimer qui est plus petit que soi. Le monstre l’apprit à ses dépens car X, chevauchant le haut de sa colonne vertébrale, le terrassa en lui ôtant la tête du tranchant de son fer. La ruine de cette terreur animale s’écroula dans un linceul de poussière et une marée de sang nauséabonde.
Ce péril écarté, il en restait un autre, l’ultime épreuve : franchir sans peur la grande muraille de braise entourant le château. Retenant avec peine sa respiration, tremblant du plus petit orteil au plus court de ses cheveux, le chevalier s’avança au beau milieu des braises….et se retrouva dans la plus haute tour du palais, dans une salle obscure et froide où l’attendait Tendresse, endormie sur un lit de marbre glacial, comme enchaînée par des cordes de rosiers noirs et épineux. Avec douceur, de peur de la blesser, X brise ses liens et la jeune fille s’éveille. Et dans un sourire :
« Bonjour chevalier ! Es-tu celui qui m’est venu délivrer de mon infinie torpeur ? »
X ne savait que dire. Il avait vaincu Nornes, spectres, dragon et flammes et se trouvait là hébété, comme figé de terreur devant la candide beauté de la Princesse. Curieuse chose que l’amour, qui vous prête la crainte de ce qui vous semble vous faire le plus de bien !
« Je ne sais même pas qui je suis, répondit-il perdu, je viens de Camelot pour vous délivrer »
« Alors, tu es Amour !, cria-t-elle au summum de la joie. Viens, je t’accompagne à Camelot pour vous délivrer d’Hypocrisie ! »
X ou plutôt Amour était heureux. Non seulement il avait un nom mais en plus un être à ses côtés pour vaincre la solitude. Ά présent, tout ce qu’il avait vécu en ce royaume lui paraissait limpide car en trouvant son nom, il avait trouvé celui du sentiment qui le rendait si vaillant.
Un soleil resplendissant les accueillit hors du château : le sommeil était parti en kidnappant la lune au passage. Les deux amants chevauchèrent plusieurs jours durant vers Camelot. Hélas, elle est si dure la quête des bons sentiments ! Et déjà les walkyries, émissaires de Tentation arrivèrent à la charge ! Que faire ? La vélocité des montures des walkyries dépassaient celle des chevaux d’Amour et sa compagne. Dans une pluie de lances acérées, Tendresse et son sauveur se retrouvèrent à terre aux côtés de leurs bêtes mortellement blessées. Tout semblait alors perdu, tout espoir vain. Sentant venir leur dernière heure, le chevalier et sa princesse se réfugièrent dans les bras l’un de l’autre.
C’est alors qu’arriva, Miracle !, le fidèle destrier d’Amour, comme rené de ses cendres, toujours pourvu de ses ailes blanches, qui semblaient même plus grande et avec lesquelles il fit de tomber de scelle les chasseuses . Amour serra très fort contre son compagnon qu’il croyait avoir perdu, et après avoir fait monter Tendresse, le chevaucha à son tour. Tous trois s’élancèrent vers le royaume de Logres où ils arrivèrent en quelques heures. Celles de Camelot étaient sombre car le Roi aliéné avait confié son trône à la terrifiante Hypocrisie. Encerclés de lames, les deux amants entrèrent dans la cour et se prosternèrent devant la cruelle sorcière.
« Bien, crachota celle-ci, au moins vous n’aurez pas été durs à trouver ! ». Elle fit signe de la tête aux garde de trancher celles des prisonniers. Mais rien ne se produisit. Prise de stupeur, l’affreuse mégère se leva et réitéra son ordre redoublant dans sa voix sa dose de venin. Mais rien y fit. Sous le joug de la beauté de Tendresse, tous les êtres prêtèrent allégeance à Amour qui fit chasser l’envoyée de Morgane et rétablit Arthur sur son trône perdu.
On fit la fête durant des mois dans tout le royaume et l’amour comme la tendresse n’eurent plus jamais de fin tandis qu’Hypocrisie croupissait au cachot d’Avalon, nourrie au pain sec et à l’eau .
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