jeudi 19 juillet 2012

Plat du jour n°3

La Vénus d'Ille, Prosper Mérimée

C'est avec des chef-d'oeuvres tels que La Gradiva, Le Horla ou La main que l'on comprend ce qui distingue le fantastique du merveilleux: le fantastique est un merveilleux caché, dérobé au regard pour suggérer une ingéniosité criminelle hors-paire, comme dans un Sherlock Holmes par exemple, ou pour suggérer toute l'horreur d'un fait effroyable et inexplicable. En cela, la nouvelle fantastique se fait voile de Timène: comme cette toile légendaire, elle suggère l'impensable par le contour mais en cache l'essentiel pour permettre à l'esprit du lecteur de sublimer encore cet impensable.

La Vénus d'Ille de Mérimée a tout l'intérêt du fantastique, exploite toutes ses facettes. Tout d'abord, comme cela arrive fréquemment chez Mérimée, le récit est la version satanique d'un grand mythe: Abraham pour Mateo Falcone, ici le mythe de Pygmalion.
Ensuite, elle reprend une actrice topique du genre, à savoir la statue.
La statue passionne et effraie car c'est un être et ça n'en est pas. Elle devient la femme artificielle, pantin d'un homme satanique dans L'Homme au sable d'Hoffmann, comme elle figure la mort par son inertie qui la rapproche du gisant.
Il existe des histoires où l'on se change en statue et d'autres où les statues se changent en êtres vivants. C'est sur cette peur profonde et inconsciente de la statue que joue Mérimée. Et pour accroître cet effroi, il joue aux frankensteins en construisant sa statue à partir de nombreuses autres statues qu'il a pu connaître en sa qualité d'inspecteur des monuments en péril (pour les intéressé(e)s: http://lettres.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/coin_eleve/venus/venus/sommaire2.htm ). Il use d'un procédé que Pérec a qualifié de "plus-que-réaliste" en créant une oeuvre d'art qui n'existe pas à partir d'éléments réels et faux. Le fantastique s'en trouve d'autant plus renforcé et la frontière entre vrai et faux d'autant plus troublée que l'inquiétante étrangeté ne peut plus être combattue....

A moins d'être vue au travers de la lorgnette de Conan Doyle, en exploitant toutes les pistes policières que jette Mérimée pour semer le doute sur l'irréalité des faits. Le lecteur peut alors choisir et se permettre deux types de lectures: fantastique et policière. Il choisit d'être passif ou créatif et, dans chaque cas, le livre le hante assez longtemps pour occuper son temps de vacances ou d'heures de vide.

C'est en outre l'occasion de voyager par la lecture dans un Rousillon à la fois archéologique et très vivant, ne serait-ce qu'à travers cette chanson folklorique qui crée l'ambiance inquiétante de la nouvelle derrière ses innocentes paroles:

Muntanyes regalades

Muntanyes regalades
són les del Canigó
que tot l’istiu floreixen
primavera i tardor.
Dau-me l’amor minyona
Dau-me la vostra amor
Tardor i primavera
en tot temps hi ha flors.
Hi floreixen les roses,
clavells de tots colors.
Dau-me l’amor minyona
Dau-me la vostra amor
N’hi ha una donzella
qu’em té robat el cor,
lo lliga amb cadenes
amb cadenes d’or.
Dau-me l’amor minyona
Dau-me la vostra amor

Montagnes où l’eau ruisselle
sont celles du Canigou
qui fleurissent tout l’été,
le printemps et l’automne.
Donne-moi l’amour, jeune fille
Donne-moi ton amour
L’automne et le printemps
tout le temps, il y a des fleurs.
Il y fleurit les roses,
les œillets de toutes les couleurs.
Donne-moi l’amour, jeune fille
Donne-moi ton amour
Il y a une jeune fille
qui m’a volé mon cœur,
elle l’a lié avec des chaînes
avec des chaînes d’or.
Donne-moi l’amour, jeune fille
Donne-moi ton amour
(cf: http://www.tresvents.fr/tradition/muntanyes-regalades.php. Selon P.Berthier, montagnes regalades signifieraient plutôt Montagnes royales)

Si vous voulez vous dépayser, voyager, vous faire peur voire créer une histoire policière digne du détective de Baker Street, courez alors lire La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée et méfiez-vous des statues!

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