samedi 3 août 2013

Un monde sans 18: Un monde sans chat




Un monde sans chat


à Lana Parisot

Un monde sans chat, c'est un monde sans nuit et sans gris. Un monde parfait où les noctambules et les insomniaques peuvent dormir tout le jour car ce sont eux qui font office de chat. Encore qu'un monde sans chat soit un monde sans eux. Par extension, c'est donc aussi un monde sans parisiens, new-yorkais ou autres rôdeurs nocturnes dignes des poèmes d'un Bertrand ou d'un Baudelaire.

Un monde sans chat, c'est aussi un monde hypocrite, un monde de menteurs, un monde de flatteurs, où l'on cherche à ne surtout pas vexer en déformant verbalement la vérité. Un monde proche du nôtre où un cambrioleur fragilisé par la vie travaille en volant, un couple homosexuel met au monde de façon naturelle, où c'est apparemment une tare écœurante que ne pas être français. Un monde de mensonges punis par la vérité qui ne manque jamais à sortir de son puits. Un monde de chat... y ment. En bref, un monde où l'on peut pas appeler un chat un chat. Comment le pourrions-nous puisqu'il n'existerait pas ?

C'est un monde où Baudelaire et Hemingway perdent leurs plus fidèles compagnons. Un monde d'écrivains ou poètes sans inspiration.

C'est un monde où l'on explique difficilement la grammaire : comment distinguerait-on le sujet du complément d'objet direct sans cette phrase incontournable : "Le chat chasse la souris."

C'est un monde sans Égypte ou d’Égypte sans foyer. Bastet a déserté les sentiers proches du Nil ; ne reste que sa cruelle sœur aînée à tête de tigre, Sekhmet, déesse de la guerre et du carnage. C'est un monde de guerre civile et extérieure, où il est impossible de connaître la paix. Une rangée terrifiante de maisons qui brûlent, d'intimités rongées par un impossible vivre-ensemble.

C'est un monde sans mystère qu'incarne de façon si fantastique les hurlements de "tigre en furie" ou d'"enfants qui crient" dont parle le satiriste. Un monde sans incompréhension et sans énigme, où l'on sait malheureusement, désespérément et fatalement tout ce qu'il y a à savoir. Un monde où l'on s'ennuie de savoir tout. Un monde qui prête l'envie de somnoler pour oublier que l'on sait voire oublier qu'on est. Un monde où l'homme est un chat qui s'ignore.

C'est un monde où l'on ne chasse pas la souris. Où les femmes sont apeurées à l'idée de croiser leurs cruelles ennemies ou de les remplacer pour devenir la proie de matous déjà loups. Un monde de séduction perpétuelle où pas une minute une femme ne se sent pas hélée par un félin aux malhonnêtes intentions. Ou bien, un monde sans femmes, un monde de chiens amicaux, excités et querelleurs, sans grâce, sans soins, sans intrigues, sans raffinement et sans psychologie.

C'est aussi un monde sans sadisme et jeu de traque, de chasse. Sans délices de la souffrance et de la provocation. Un monde où l'on ne joue ni à chat perché ni au chat et à la souris. Un monde sans menottes, sans fouets, sans baillons et autres perversités. Un jeu sans poker, sans jeux amoureux secrets et sans stratégies. Un monde où Sherlock Holmes joue du violon en geignant et le Marquis de Sade s'endort la tête dans un bénitier.

C'est aussi un monde qui rappelle l'écurie d'Augias, où la moindre chute peut être plus que mortelle, laissant les êtres pour morts et s'observant mourir. Un monde terrible d'ennuis qui se conjuguent, sans jamais s'annuler ni s'effacer. Car, rappelons-le, c'est un monde où l'on ne retombe pas sur ses pattes.

C'est un monde de mort, froid, noir, pestilentiel et infertile. Un monde de terreur sourde et profonde, un caveau athée où l'on croit pas à la vie après la mort. Un monde de vie unique sans le Docteur aux 12 vies, sans chats aux 9 vies. Un monde sans résurrection ni réincarnation. Un monde sans métamorphoses, un monde rigide où l'on meurt de rester toujours le même comme une statue d'angelot rococo d'une église de Burnau. Un monde où l'on ne supporte que l'éternelle beauté et l'immarcescible jouvence. Un monde inhumain d'adolescents idiots qui n'aiment que le prêt-à-consommer et les idées toutes faites.

Mais c'est aussi un monde sans épicurisme et sans hédonisme où l'on ne cueille pas le jour présent, couché dans l'herbe, avachi pesamment sur la souche labyrinthique de ses pensées, à jouir de chaque seconde et du moindre zeste de vent qui caresse nos risibles carcasses.

Un monde sans chat n'est pas un monde mais un poussiéreux musée où l'on conserve méticuleusement des copies ratées qui ne trompent plus personne.


Gazeran, le 2 Août 2013


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